La crise politique ne pouvait pas éternellement cacher les problèmes financiers de la Tunisie. La recherche de nouveaux prêts est la seule constante dans la politique tunisienne actuelle. Notre cartographie de la dette extérieure analyse l’évolution de la dette tunisienne et ses impacts.
Au cours des derniers mois, les mesures exceptionnelles du Président Kais Saied, le gel du parlement, ainsi que la démission du Premier ministre ont dominé le traitement médiatique international de l’actualité tunisienne. Il semblait pendant un moment que les événements faisant suite au 25 juillet 2021 avaient écarté les problèmes économiques de la Tunisie. Les questions constitutionnelles, la revendication d’un dialogue national et le destin des partis politiques étaient au premier rang des débats politiques. Au moins temporairement, les difficultés financières de la Tunisie étaient tombées dans l’oubli et ne jouaient pas de rôle important dans la sortie de la crise.
Cependant, ces turbulences politiques ne pouvaient pas occulter longtemps le fait que la Tunisie subit toujours de fortes pressions de trouver de nouvelles sources de financement. Actuellement les difficultés financières occupent à nouveau devant de la scène politique. Le pays est confronté à une crise financière imminente qui menace le fonctionnement de l’état faute d’une capacité à payer les salaires du secteur public. Pour cette raison, le nouveau gouvernement de Najla Bouden n’a pas tardé de relancer les négociations avec plusieurs potentiels bailleurs de fonds. Actuellement le gouvernement mène donc en parallèle des négociations avec l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, ainsi qu’avec le FMI pour un sauvetage financier de dernière minute.
Le président Kais Saied a également appelé le ministère des Finances à faire un inventaire de la dette publique afin de savoir ce qui est resté des milliards injectés en Tunisie. Cependant, à ce jour, Saied devra toujours présenter une vision et une stratégie pour l'économie et pour sortir de la crise de la dette. Sans un accord de prêt, l’hypothèse d’une faillite publique se rapproche, ce qui entrainerait très probablement des nouvelles tensions sociales et tremblement politique.
A cause de la crise du COVID-19 et de la forte contraction de l’économie, la situation budgétaire s’est récemment gravement détériorée. Pourtant il y a peu d’informations et de données sur l’encours de la dette en Tunisie, et la signification de la dette n’est pas toujours claire : on parle souvent de dette, sans préciser à qui elles correspondent, envers qui les débiteurs sont endettés et que seront les implications socio-économiques pour la population tunisienne.
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Le rapport de Mohamed Haddad publié par la fondation Heinrich Boell met en lumière la composition de la dette en Tunisie et analyse son évolution. Le rapport constate entre autre que le poids de la dette de la Tunisie est passé depuis 1986 de 4 milliards Dinars tunisiens à plus de 100 milliards. La plus forte augmentation s'est produite depuis la révolution de 2011. En incluant le taux d'inflation et la croissance du PIB, le rapport entre l'encours de la dette et le PIB est passé de 57,4% à plus de 90% au cours de la même période.
La situation s’est davantage aggravée par les conséquences économiques de la pandémie. En effet, la Tunisie en 2020 a connu la pire récession depuis l'indépendance. Le déficit budgétaire est estimé à 6,6 % selon la loi de finances, et à 9 % selon une évaluation du FMI à partir d'avril 2020. Le résultat est qu’aujourd’hui, la dette d’extérieure a probablement dépassé le 100% du PIB. Cet amalgame d’une faible performance économique et un haut taux d’endettement resserre la marge de manœuvre de la Tunisie car il élève le risque de non-remboursement des emprunts du pays. Les prêts deviennent plus chers, et la Tunisie doit emprunter à un taux d’intérêt plus élevé.
En outre, le rapport analyse que la dette extérieure représente les trois quarts de la dette tunisienne et la moitié des créanciers sont des institutions financières internationales (FMI, la Banque mondiale, Banque de développement africaine etc.) ou rattachées à des pays partenaires (AFD, KFW), suivi par les prêts sur les marchés financiers et les prêts directes entre états. A peine 15% de la dette publique extérieure est détenue par des pays directement. La France et l’Arabie Saoudite sont les premiers créanciers de la Tunisie.
Comment la Tunisie est-elle arrivée dans une telle situation et comment en sortir ?
Contrairement à ce qui est souvent déclaré, la raison principale de la vitesse de la spirale de la dette n’était pas seulement le grand nombre de recrutement des gens dans le secteur public après la révolution. En effet depuis 2016, le déficit budgétaire n'est plus le principal contributeur à l'augmentation de la dette publique. C'est plutôt la dévaluation du dinar qui résulte dans une hausse d’une dette publique. À partir de 2018, même les intérêts de la dette ont commencé à contribuer davantage à l'augmentation de la dette publique que le déficit budgétaire.
En outre, l’endettement continu relèves à des problèmes structurels qui sont étroitement liés au modèle économique tunisien. La dépendance de l’économie tunisienne vis-à-vis des flux d’importations de produits à haut gamme contribue également à la montagne de la dette. Si la valeur du dinar baisse les produits importés deviennent plus cher. En retour la Tunisie exporte principalement des produits à faible valeur ajoutée comme le textile, le phosphate ou l’huile d’olive à prix base qui crée un déséquilibre de la balance commerciale. Par conséquence la Tunisie doit s’endetter plus pour financer ces besoins.
La question principale est donc comment l’on gérera ce fort surcroît de dette. Dans le rapport, Mohamed Haddad propose plusieurs pistes et recommandations. Il suggère entre autres que la Tunisie devrait négocier davantage de temps et moins d’argent auprès de ses créanciers afin de penser, concevoir et mettre en place sa stratégie d’émancipation et de maturation de son économie. Les ressources orientées vers le service de la dette auraient donc pu servir d’investissement pour le développement, que l’état tunisien n’a pas réalisé dans les régions marginalisées.
La politique tunisienne devra chercher le dialogue avec le public en donnant l’accès aux informations et données à un public plus large. L’implication de la société civile parviendrait à une démocratisation des sujets économiques et pourraient mener à une gouvernance socialement équitable et durable.